mercredi 15 juin 2011

Histoire Angevine :

Bessonneau : les petites maisons en bois des Batignolles

vendredi 10 juin 2011 par Louis Le Bail
En 1972, les Portériens voyaient partir en fumée les débris des dernières maisonnettes des cités ouvrières de l’usine des Batignolles. Beaucoup avaient le cœur serré ; ils y avaient passé de longues années dont ils ne gardaient que les bons souvenirs. C’étaient des maisons en bois « Bessonneau ». Dans la première moitié du 20ème siècle, la maison Bessonneau était la plus grosse entreprise d’Angers ; elle employa jusqu’à une dizaine de milliers de travailleurs. Elle était surtout connue pour sa branche « textile industriel », qui utilisait le chanvre de la vallée de la Loire : filature, tissage, corderie, bâches. La qualité de ses produits lui avait acquis une réputation internationale. Montage d’un hangar d’avion (un « bessonneau ») à Nantes, en 1910, dans la prairie de Mauves (emplacement de la cité Malakoff)Une charpente recouverte de bâches en chanvre.
Au temps des débuts de l’aviation, dans les premières années du 20ème siècle, Bessonneau inventa un type de hangar démontable composé d’une armature recouverte d’une bâche de chanvre. Ce sont, très souvent, des hangars Bessonneau que l’on voit sur les cartes postales anciennes consacrées aux meetings aériens de l’époque : hangars pour dirigeables, pour avions ; ces édifices sont souvent impressionnants par leurs dimensions. Ils étaient si nombreux, si réputés, que les aviateurs disaient : un bessonneau. La guerre 1914-1918 devait donner un sérieux coup de fouet à cette activité, dont Bessonneau eut, un temps, un quasi-monopole. C’est à cette époque que l’entreprise, sous la houlette de « Monsieur Jules », le grand patron, se lança sur une nouvelle piste : la construction de maisons préfabriquées en bois. La période était propice : la guerre avait provoqué d’énormes destructions dans le nord et dans l’est de la France, il fallait reloger les sinistrés. 1920 – La ville de Reims a été en grande partie détruite par la guerre. Bessonneau reloge provisoirement les Rémois.
Les évènements avaient rendu l’approvisionnement en bois fort aléatoire. Bessonneau acheta des forêts, des scieries, non seulement près d’Angers (Brissac, Blou), mais aussi en Savoie (Saint-Jean-d’Aulph), dans les Pyrénées-Orientales (Villefranche-de-Conflent), dans les Hautes-Pyrénées (Bagnères-de-Bigorre), en Corse… Chaque scierie produisait de 20 à 100 m3 par jour de résineux, de bois dur. Des ateliers de menuiserie – charpente fournissaient journellement de 30 m3 de bois débités (Nantes – Chantenay) à 80 m3 (Angers – Ecce Homo), à 100 m3 (Angers – le Mail). Les panneaux étaient préfabriqués ; un embranchement ferroviaire permettait l’expédition. Deux textes dactylographiés, joints aux albums de photographies publicitaires conservés aux Archives Municipales d’Angers, décrivent les procédés de fabrication et de montage : « La double paroi, revêtement en planches à clins à l’extérieur et en plâtre sur lattis à l’intérieur, a l’avantage de maintenir dans les pièces une température à peu près uniforme par suite du matelas d’air de 0,07 m ménagé entre les deux parois. Son but est également de rendre la construction moins sonore. L’enduit intérieur en plâtre a l’avantage d’assurer une plus grande propreté dans les locaux, ne laissant pas passer la poussière contrairement à ce qui a lieu avec des enduits intérieurs en parquet mince. L’aspect d’un enduit en plâtre est plus confortable et donne mieux l’illusion d’habiter une maison en maçonnerie ordinaire. » « Travaux à exécuter sur place pour installer une construction démontable Bessonneau : Le sol de l’emplacement doit être nivelé avant le montage. Les semelles des maisons reposent sur une murette légère en agglomérés de ciment et mâchefer ou en briques ou en pierres, de 0,20 m d’épaisseur et sur une hauteur variable selon la composition du sol. Lorsque celui-ci est très dur, on peut se dispenser de fondations, et dans ce cas les semelles sont posées simplement sur des cales en bois ou en pierres. Nos prix ne comprennent pas les fondations, mais la Maison peut se charger de leur exécution. Elle fournit gratuitement un ouvrier monteur pour surveiller le montage des constructions. » Les petites maisons en bois, provisoires, des Batignolles nantaises, ont duré jusqu’au début des années 1970
Il fallait deux wagons de 10 tonnes pour expédier une maison ouvrière à quatre pièces. Les modèles étaient variés : ils allaient de la petite maison à deux ou trois pièces aux baraquements destinés à équiper les casernes, en passant par les villas de style colonial, et même les chapelles. Les habitants de la ville de Reims, en grande partie ravagée par les bombardements, avaient été relogés par Bessonneau : des bâtiments à un étage – boutique au rez-de-chaussée, logement au-dessus – couvraient les Promenades, la place Drouet d’Erlon. A la fin de la première guerre mondiale, la société parisienne Batignolles-Châtillon achète à Nantes, près de la route de Paris, le domaine de Saint Georges ; elle y installe une vaste usine de construction de locomotives. On pense d’abord que les ouvriers pourront loger en ville ; la ligne de tramway qui dessert le quartier depuis le début du siècle suffira peut-être à les conduire à leur travail ; peut-être aussi la Ville acceptera de construire des logements. Les prévisions sont vite dépassées, il faut loger d’urgence les centaines de travailleurs qui arrivent de toute la France, d’une grande partie de l’Europe. On fait appel à Bessonneau, à ses maisonnettes « provisoires » ; dès 1920, 450 exemplaires sont livrés, ainsi que des baraquements pour célibataires, et forment trois nouvelles cités dans le quartier rural de Saint-Joseph-de-Porterie : la Halvêque, la Baratte, le Ranzay. 2 000 personnes vont y habiter, le « provisoire » durera jusqu’en 1972. La première chapelle, en bois, est une construction Bessonneau. Dans la Basse-Loire, les Forges de Basse-Indre sont en pleine expansion ; à Couëron, l’usine de « Pontgibaud » elle aussi a besoin de loger son personnel : une centaine de maisonnettes sont commandées : ce sera la cité Bessonneau de Couëron. Pour qui arrivait des abominables taudis nantais du Marchix, qu’on devait démolir depuis déjà un siècle, les maisonnettes Bessonneau avec leur jardinet, malgré leur confort rudimentaire et leur semblant d’isolation, étaient un petit paradis. Lorsqu’en 1924 le frère du roi de Siam visita l’usine de Nantes, on n’hésita pas à les lui présenter comme des cités modèles. Un autre type de maison Bessonneau, trop beau pour les Batignollais ?
La fin des hostilités devait porter un coup fatal à la branche bois de chez Bessonneau, qui disparut dans le milieu des années 1920. L’entreprise elle-même, victime de la politique aventureuse de « Monsieur Jules », subissait un krach retentissant en 1921. Reprise par un gendre de la famille, Adrien Frappier, elle connut des hauts, des bas. Après la seconde guerre mondiale, apparurent sur le marché de nouvelles fibres artificielles, Nylon et Tergal. Bessonneau ignora le nouveau matériau, et ferma définitivement ses portes à la fin de 1965. Á Couëron, et surtout dans le quartier des Batignolles à Nantes, les anciens ont gardé une véritable nostalgie de leurs cités en bois, où régnait une chaleureuse convivialité. Grâce à la ténacité de la propriétaire, la municipalité de Couëron a accepté de conserver la dernière maisonnette de la cité ; le projet d’urbanisation de la place dégagée par la disparition de la vieille cité conserve le nom de Bessonneau, avec un « site intergénérationnel Bessonneau ». Á Nantes, en 2005, la commune a fait bâtir sur l’emplacement de la cité Baratte (occupé aujourd’hui en grande partie par le stade de la Beaujoire) un fac simile d’une maisonnette des cités, qui est aujourd’hui une petite salle associative très demandée, et un lieu de mémoire.
Sources : Jacques BOUVET - « BESSONNEAU ANGERS », Société des Études Angevines, mars 2002 Archives municipales d’Angers, 13 Fi (albums de photographies)

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